02 mai 2021
Florence Delsaux : Bonjour Bertrand pouvez vous nous parler de votre parcours depuis la sortie de l'ISG?
Bertrand Dufour : Bonjour Florence,
Débuts immédiatement après diplôme ISG en tant que Chef de Publicité chez Grey Paris: attiré par ce milieu au début, j'ai pu appréhender les notions de positionnement produits pour Pantène, Canon Photo, Nike et BP.
Puis Xerox: pour apprendre sur le terrain la vente (porte à porte "dans le dur" Paris Xième), après une école de commerce, c'est bien de voir le terrain de près car après on est plus légitime pour dialoguer avec les forces de vente et surtout on comprend mieux les mécanismes et les attentes.
Metro France: début d'une longue collaboration de 1996 jusqu'en 2013 avec des postes variés au marketing BTB, Achats, Ventes, en France (5 ans), Japon (2 ans), Pologne (4 ans) où j'ai rencontré mon épouse), Grèce (1 an), Allemagne au Siège (3 ans, responsabilités pour la cible CHR pour 16 pays) et retour Grèce (2 ans) en plein milieu de la crise en 2011 en Direction Marketing. Le tout en tant qu'expatrié. Faits marquants: ouverture d'un nouveau pays (Japon), création d'un concept (Ecole Pluridisciplinaire pour les CHR - HoReCa Center) réunissant fournisseurs, clients et staff Metro sur des surfaces allant jusqu'à 2.000 m2. Le premier en Pologne, puis dupliqué dans plusieurs pays = véritable création de valeur et positionnement de Metro comme un vrai partenaire.
L'aventure s'achève en 2013 (avec la vente de la filiale Grecque à un distributeur local). Je prends alors un poste de Directeur Marketing Europe pour Honeywell à Manchester pour 2 ans avant de subir une restructuration.
Puis une mission intérim 6 mois à Bruxelles en tant que DG pour Sushi Daily;
Enfin le Groupe FUCHS (second groupe Mondial sur le marché des épices, et je retourne en France en mars 2017 en tant que Directeur Commercial et Marketing, puis je prend la Direction Générale pour la France et la Belgique en octobre 2017 où je suis toujours et très heureux! Ce Groupe familial a un énorme potentiel de développement.
FD : Le secteur des épices est en pleine évolution avec le contexte actuel les gens cuisinent de plus en plus avez vous ressenti une différence dans la consommation et les achats ? BD : Oui en effet, la catégorie épices a depuis 2020 une croissance de plus de 20% indubitablement liée au COVID. C'est énorme pour un secteur qui avait plutôt des croissance de entre 1% et 3% sur les années précédentes. La vraie question est de savoir ce qu'il restera quand nous aurons un contexte à nouveau "normal"; J'espère que cela aura boosté les habitudes de consommation pour rester à des niveaux de croissance entre 5 et 7%. Je ne m'attend pas à beaucoup plus et cela serait déjà très important. Il faut savoir qu'en 2016, la consommation en France se situait à 2,5 flacons par habitant et par an...Pour un pays gastronomique, il y avait de la marge de manoeuvre:) FD : Vous distribuez dans 8 pays différents quels sont vos enjeux actuellement ? BD : Le Groupe a deux piliers principaux: la GMS et l'industrie agro-alimentaire. Nous sommes présents dans 10 pays et 4 continents. De manière générale, les enjeux pour le groupe sont les risques de concentration, liés à la maîtrise du sourcing et de la traçabilité 100% vitaux dans ce secteur ainsi que la forte poussée de MDD, et bien sûr la RSE que nous considérons comme un véritable éco système. Nous maîtrisons et renforçons nos partenariats avec des producteurs que nous connaissons depuis 1952. Cela donne un net avantage vis à vis de nos concurrents. En fait, et à moins de racheter des entreprises ayant acquis ces compétences, il est quasiment impossible de créer ces réseaux à partir de rien. D'où les risques de M&A, mais aussi les opportunités, comme celle que FUCHS a saisi en 2017 quand nous avons racheté le No 2 (derrière McCormick) au Royaume Uni, l'anglais BART. FD : Quelles sont vos perspectives à venir sur le marché de la France ? BD : La France est - comme d'habitude :) - un marché à part. Quand McCormick acquiert la belle marque française historique Ducros en 2000, ils s'achètent d'un coup 60% de PDM. Le second a alors 5% de part de marché. On peut déplorer que la catégorie soit devenue petit à petit une commodité, alors que les épices portent en elles une vraie part de rêve, de voyage et d'imaginaire. Depuis 2017, la création de valeur sur ce marché a été par conséquent et est toujours le crédo de FUCHS en France. Leader sur le marché des MDD (qui sont de plus en plus importantes), Epices FUCHS en France a relancé ses marques FUCHS, BioWagner (bio depuis 40 ans) et Columbia (saisonnier et volumes). Les consommateurs sont au rendez-vous, ce qui prouve un vrai besoin en termes de choix et de positionnement sur le marché. La preuve, nous avons depuis 2017 une croissance annuelle (Nielsen) de 40% pour nos marques en moyenne, et cela année après année. Mis à part 2020 - année COVID un peu spéciale s'il en est - durant laquelle à peu près toutes les marques ont eu une bonne croissance - notre croissance dépasse largement l'ensemble des autres marques, et du marché. Notre positionnement milieu de gamme "+", nos meubles en bois véritable qualitatifs avec tiroirs senteurs etc...ont fait bouger le marché. Depuis, le leader propose un nouveau meuble plutôt attractif et bien fait et d'autres concurrents ont suivi. Bref, notre action a contribué je pense à ce que cette catégorie se réveille. Et c'est tant mieux, pour le grand bien des consommateurs! L'avenir pour Epices FUCHS est assez attractif. L'entreprise est en croissance de +10% chaque année, et le marché reconnaît maintenant la création de valeur que nous apportons. Nous ne sommes pas positionnés contre le leader mais en complément d'offre sur le marché. De plus en plus de clients nous font au demeurant confiance et nous avons aujourd'hui plus de 1000 points de vente. Nous ouvrons notre e-shop en mai 2021 et avons plusieurs projets assez excitants à venir (chaîne YouTube etc...) qui cassent le codes un peu "pantouflards" de la catégorie. Notre PDM "Marques" est maintenant au pied du podium. D'autre part nous produisons maintenant en France avec 2 lignes de production et une troisième fin 2021 pour nos clients MDD, ce qui nous rapproche d'eux et permet aussi de répondre à ce besoin de produire en local. Au total, nos MDD et marques font de nous le second intervenant sur le marché français des épices, après McCormick, largement leader. FD : Comment se porte le marché de la distribution avec l'étranger ? BD : Sur les marchés que nous connaissons, nous nous développons bien. Les marchés sont bien sûr différents suivant la part de MDD et des marques. En France, c'est 75% de marques, en Espagne, 50/50 par exemple. Nous sommes, autre exemple, leader sur les MDD au Portugal. Les prix sont de plus un facteur important et très différents d'un marché à l'autre. Aux Pays Bas, Les MDD et les marques montrent peu d'écart prix en rayon, alors qu'en France les marques sont en moyenne à 2,33 euros pour 1,44 euros pour les MDD. Cela permet de caler une stratégie de marque ou pas, et de choisir la marque la mieux adaptée au marché donné. Nous avons près de 10.000 produits et plusieurs marques disponibles dans le Groupe. FD : Quels conseils donneriez vous pour se lancer aujourd’hui sur le domaine de la distribution ? BD : Si vous vous lancez en tant que marque, faire une étude très sérieuse sur le marché, passer du temps sur le Category Management de la catégorie...Surtout, se mettre à la place de l'acheteur : pourquoi prendrait-il vos produits? Oui, c'est clair, vos produits sont le plus beaux du monde, mais concrètement? Et si vous aimez vraiment la distribution, qui reste un gros canal pour accéder au marché national, vous pouvez essayer d'y travailler, votre diplôme de l'ISG en poche. Je pense que la distribution est friande de ce type de profils, et même si il est certes plus "sexy" de travailler chez Apple ou L'Oréal, il n'en reste pas moins vrai que la GMS propose des carrières passionnantes, et pas seulement su la surface de vente. Les achats sont par exemple très prisés, le Catman et le marketing prennent de l'ampleur et bien sûr, il y a l'international. Le petit conseil du jour: Il faut juste se rappeler de bien mettre les clients (tous: y compris les Equipes en interne, qui sont aussi des "clients") au centre de l'équation. Or, plus on monte dans une entreprise, plus on s'éloigne "physiquement" des clients et du terrain, alors que l'on est amené à prendre des décisions qui auront un impact important à tous les niveaux. Paradoxe, yes, et qu'il faut avoir en tête en permanence. Un Monsieur qui m'a appris à rester concret et que je souhaite citer ici et remercier est un des anciens Dirigeants de Metro France, Mr Michel Arnoult. Il a fait de Metro France le succès qu'elle est aujourd'hui, grâce à l'écoute vraie - et non livresque - des besoins clients. Il m'a toujours mis en garde devant les problématiques Siège vs terrain vs clients. En gros, une stratégie n'est valable que si elle s'appuie sur la réalité terrain, tout en prenant compte les réalités en cours de développement (ex: les achats online). Il fait savoir naviguer en prenant de la distance (rôle du dirigeant) mais il faut "toucher terre" très, très régulièrement; Pour résumer le propos, je pense qu'il vaut mieux procéder par itérations que de donner des grands coups de barres. C'est du boulot au quotidien, mais c'est le job! Cela vous évitera de mettre en péril les résultats de l'entreprise et...les emplois. Un dernier pour la route: surtout, surtout, écoutez votre middle management, ils sauront vous mettre en garde car la réalité, ils la connaissent et vous aideront à éviter les écueils. C'est pour cela que vous les payez! FD : Avez vous un souvenir de vos années à l'ISG que vous souhaiteriez partager ? BD : Oui, l'étude réalisée en entreprise et en équipe, extrêmement "eye opener"! Merci Bertrand ! L'équipe d'ISG Alumni
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